Le prêt à usage, n’entraînant aucun appauvrissement du prêteur, n’est pas compatible avec la qualification d’avantage indirect rapportable à la succession.

Ce qu’il faut retenir

Le rapport successoral a pour finalité d’assurer l’égalité entre héritiers, en intégrant dans le patrimoine successoral la valeur des biens donnés par le défunt, directement ou indirectement, de son vivant. Le rapport, mis en œuvre lors du partage de la succession, est dû par l’héritier bénéficiaire – réservataire ou non – à ses cohéritiers.

La mise à disposition à titre gratuit d’un logement à un héritier est rapportable si elle est qualifiée de donation. Pour ce faire, il convient d’établir la preuve d’un appauvrissement du disposant avec enrichissement corrélatif de l’héritier, et d’une intention libérale.

Selon la Cour, lorsque l’hébergement gratuit de l’héritier est qualifié de prêt à usage, le prêteur ne subit aucun appauvrissement puisque ce contrat n’entraîne aucun transfert de propriété. Aussi la nature de prêt à usage n’est-elle pas compatible avec la qualification d’avantage indirect rapportable.

Cass. civ. 1, 11 oct. 2017, n°16-21419 publié au Bulletin.

Conséquences pratiques

La mise à disposition gratuite d’un logement dans un cadre familial se rencontre fréquemment. Cette situation peut être source de conflits lors du règlement de la succession du parent propriétaire.

Il convient d’observer la plus grande prudence dans ce type de situation, pouvant entraîner une requalification de l’opération en libéralité lorsque la mise à disposition excède la simple obligation alimentaire prévue à l’article 852 du Code civil.

Pour aller plus loin

Contexte

La mise à disposition gratuite d’un logement à un héritier fait l’objet d’une jurisprudence importante.

Par quatre arrêts rendus le 18 janvier 2012, la première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé que le rapport ne pouvait être exigé qu’en présence d’une donation. Une telle qualification suppose la réunion d’un élément matériel et d’un élément intentionnel, c’est-à-dire l’appauvrissement du disposant et la preuve d’une intention libérale (C. civ. art. 894). Si l’un de ces éléments fait défaut, la qualification de libéralité ne peut être retenue.

Faits et procédure

Un père de famille décède en 2008, laissant pour recueillir sa succession son épouse, une fille et un fils.

Ce dernier a occupé à titre gratuit un appartement dépendant de la succession du mois d’août 2000 au mois d’avril 2011.

La mère et la fille assignent le frère afin d’exiger le rapport à la succession de l’avantage gratuit dont il a bénéficié par l’occupation gratuite de l’appartement.

La Cour d’appel rejette cette demande en considérant qu’un prêt à usage n’entraîne aucune dépossession de la part du prêteur et n’est, de fait, pas compatible avec la qualification d’avantage indirect.

La mère et la fille se pourvoient alors en cassation.

Arrêt

La Cour de cassation rejette le pourvoi en rappelant que le prêt à usage n’entraîne aucun transfert d’un droit patrimonial au profit du prêteur, celui-ci ne subissant par conséquent aucun appauvrissement.

Elle affirme ainsi que le commodat ne peut être compatible avec la qualification d’avantage indirect rapportable.

Analyse

En vertu de l’article 1875 du Code civil, le prêt à usage ou commodat consiste en un « contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi ».

Lorsqu’une telle qualification est retenue, le prêteur bénéficie d’un droit à l’usage du bien prêté mais pas d’un transfert de propriété du bien ou de ses fruits et revenus. Aussi l’appauvrissement du prêteur ne peut-il être constaté dans cette hypothèse. Cet élément étant nécessaire à la caractérisation d’une libéralité, la mise à disposition à titre gratuit du logement ne peut être qualifiée d’avantage indirect soumis aux règles du rapport successoral (C. civ. art. 843).

Cette analyse peut s’avérer surprenante d’un point de vue économique. En effet, le prêt à usage prive le propriétaire de l’usage du bien ou de la perception d’un loyer éventuel.

Il y a perte ou coût d’opportunité, d’où un appauvrissement.

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